Derrière un sourire

Comme si être enfermée une fois ne suffisait pas … 

Il y a des moments dans nos vies que l’on garde pour soi, année après année, bien caché, juste là, mais ils ne se voient pas … Jamais je n’aurai pensé un jour me dévoiler comme je vais le faire maintenant, mais il faut avouer qu’avec ce confinement tout est question de sentiments mélangés, d’anxiété … 

Et puis à quoi bon partager une histoire comme ça ? Certainement la même que pour beaucoup, surtout qu’elle ne fait pas rêver contrairement à ce que j’ai l’habitude de partager … Pas du tout … Mais le partage est-ce finalement pas plus important que tout ? J’ai longtemps pensé que tout ce qui pouvait être considéré comme négatif ou trop personnel devait être là, bien au chaud, ancré nul part ailleurs qu’en moi … Je suis quelqu’un de très pudique … aussi étrange que cela puisse paraître je hais plus que tout me montrer, parler en public, être le centre de l’attention, j’ai souvent du mal à aller vers les autres. Je suis de celles qui s’enferment dans leurs pensées. 

Moi c’est Laura, j’aurai 26 ans dans deux mois, et cette année ça fait exactement 11 ans que je vis en cage, dans mon propre corps. J’ai un job sympa,  j’ai plein de passion dans la vie, j’aime faire mille choses, du dessin, des travaux manuels, de la photo, de la direction artistique … Mais s’il y a une obsession qui ne me quitte pas depuis 11 ans c’est mon poids. 

À l’heure où la France est confinée depuis 4 semaines, à l’heure où l’on voit fleurir tout un tas d’astuces sur les réseaux sociaux sur comment faire du sport, quelle recette tester, comment faire ci et ça, comment survivre pendant ce confinement etc. Je me suis posé une simple question, les filles comme moi ? Comment elles réagissent face à tout cela ? 

Petit retour en arrière qui sera peut être nécessaire pour que vous puissiez me comprendre … 

Je mesure 1m75, je suis grande, il y en a qui le sont certainement encore plus que moi mais depuis toute petite j’étais celle qui dépassait tous ses amis, garçons et filles … La girafe, le girafon … je les ai tous eu ces surnoms idiots et finalement ils ne me dérangeaient plus vraiment. Je me souviens encore de certaines conversations en primaire ou mes amies s’amusaient à donner le chiffre qui s’affichait sur la balance quand elles se pesaient, j’avais honte quand je les entendais et à même pas 10 ans déjà je me mentais sur mon physique, un sujet qui deviendra tabou pour moi … et qui l’est encore et le sera je crois pour la plus grande partie de ma vie. 

La balance, ma meilleure amie, ma pire ennemie … Je suis grande, ma corpulence est je dirai dans ce que les gens appellent communément « la norme » bien que je sais que le moindre écart se verra très vite sur moi. 

C’est en 2009, après tout un tas d’événements que mon enfer a commencé. Je n’ai pas vu les choses arriver, à l’époque j’imagine que je voulais simplement perdre un peu de poids du moins c’est comme cela que je le voyais, je suis vite tombée dans une spirale infernale, un tourbillon qui semble-t-il m’a happé pour toujours et à jamais … 

Je me dressais des listes de ce que je pouvais manger, ne pouvais pas, j’avais des carnets ou j’écrivais scrupuleusement tout, tous les aliments que je mangeas, je comptais mes calories, je notais la date en haut de chaque page avec à côté le poids que je faisais … et je n’ai jamais vraiment arrêté. 

Je suis passée par maintes et maintes phases, perdant énormément de poids par moment, en reprenant aussi.. Tout dépendait de la vie, de ce qu’elle me réservait, de comment j’étais … acceptant parfois de peser un peu plus « lourd », pleurant aussi souvent de voir ce poids qui ne me plaisait pas s’afficher sur le cadran … Anorexie mentale. 

Ça fait 11 ans cette année, 11 ans ce mois ci plus exactement que tout a commencé. J’ai été suivie, j’ai fait l’effort de parler un moment et puis j’ai compris je crois que je devrai vivre toute ma vie avec cette « maladie », beaucoup diront qu’elle n’existe pas, qu’elle est futile, que c’est une idiotie, je serai tentée de vous dire oui vous avez raison mais moi elle me « mange » la vie. Alors j’ai accepté de vivre avec elle, avec cette obsession de contrôler mon physique de manière perpétuelle … Je crois que je n’arrive pas à me voir comme les autres me voient et ce depuis de nombreuses années. 

Il y a d’ailleurs des années plus brillantes que d’autres, des moments où je relâche un peu, mais aucune journée ne se passe sans que je monte sur ma balance au moins 3 à 4 fois par jour juste pour « voir » et ça depuis 11 ans, même en voyage, en weekend durant deux jours … La balance est toujours là .. dans la valise, cachée entre deux vêtements sous peur de croiser le regard de ceux que j’aime. 

L’année qui s’est écoulé n’a pas été facile de ce côté, je suis descendue à un poids que je n’avais pas connu depuis très longtemps, j’ai délaissé mes carnets pour une application où je note poids et aliments chaque jour depuis presque un an … La vie a fait que … j’ai toujours su bien cacher mon jeu, porter des vêtements assez amples cachants quand il le fallait ma cage thoracique qui se faisait un peu trop présente selon mes proches ou inversement mes « kilos en trop » quand le moral n’était pas là … 

Et puis au début de l’année j’ai décidé que 2020 serait une nouvelle année, que j’allais essayer de vivre autrement avec cette prison dans laquelle je me suis enfermée seule, je suis du genre à manger équilibré, plutôt “sain” je dirai, je n’ai pas besoin de grandes quantités mais seulement je suis gourmande aussi alors j’avais décidé d’arrêter de me frustrer et d’accepter de faire un poids de deux à trois kilos au dessus du poids qui dans ma tête est mon « goal » ultime pour pouvoir profiter, essayer de vivre comme mes proches, le tout en faisant du sport à côté, chose que je n’avais pas fait depuis nombre d’années. 

J’ai commencé début février …  Et j’étais plutôt heureuse du rythme que j’ai trouvé, une heure de sport par jour depuis que j’ai commencé, course, vélo d’appartement, exercices … ce n’est peut être pas bon d’un point de vue extérieur et je ne sais pas si en parler est quelque chose de bien mais c’est devenu ma manière de m’accepter et de vivre en me sentant “normal” sans culpabiliser trop de faire un ou deux écarts … 

Et si j’écris ces lignes et si je me confie aujourd’hui c’est parce que le confinement que l’on vit en ce moment fait remonter tant de choses, me frustre aussi énormément, ne pas pouvoir bouger, marcher, avoir une activité physique juste « normal » du type aller au travail, en revenir … Comme tous on a envie de cuisiner à la maison et c’est ce qu’on fait, alors je continue de pédaler, une heure de vélo d’appartement chaque jour pour faire 24km dans l’espoir de dépenser du mieux que je peux j’aurai avalé dans la journée. 

Le plus drôle dans tout ça ? En deux mois mon corps a changé, il s’est musclé, je mange je crois comme je le faisais avant une part ou deux de gâteaux en plus peut être depuis 3 semaines. Alors forcément … on me l’a appris pourtant,  le muscle ça « pèse » mais me voilà, seule le matin à me sentir coupable en montant sur ma balance, prisonnière de moi même, enfermée, mal comme pas permis à l’idée de manger le moindre repas tout en sachant que ma journée se passera sans bouger, là, sauf durant mon heure quotidienne que je m’offre dans le seul but de pouvoir m’accepter moi, psychologiquement … 

Alors ce confinement je l’avoue, je le vis comme un double enfermement.

Et je le vis d’autant plus mal qu’il me sépare de celui que j’aime depuis 4 semaines déjà … 

J’ai l’impression de passer un certain cap en me confiant ici, aux yeux de tous, seulement la Laura cachée derrière Avenue des Rêveries vit avec ça depuis 11 ans déjà, le cache plutôt bien je crois … Bien que cela me vaille souvent des réflexions du type “oh mais tu manges que ça?????” “Comment tu fais pour tenir????” etc … Ma vie à moi est résumée par mes passions et mes repas … Et comme en ce moment mes passions doivent attendre je bouillonne de l’intérieur face à tout cela …

Désolée pour la maladresse qu’il y a certainement dans mes mots sur un sujet aussi complexe que celui-ci, je regretterai peut être d’avoir partager ces pensées avec vous … d’autant que tant de gens vivent des situations plus que difficiles et compliquées durant cette épidémie …  Mais si certaines sont dans le même cas que moi et ont ce genre de pensées, je serai heureuse d’avoir pu leur montrer qu’elles ne sont pas seules à songer à tout cela … Je vous embrasse. 

8 replys to Derrière un sourire

  1. Je n’aurais jamais imaginé c’est vrai comme mes proches n’imaginent sûrement pas que je vis la même chose depuis plusieurs années … ça a commencé vers mes 15 ans, j’en ai 30 et les troubles alimentaires rythment mon quotidien avec des phases de “mieux” parfois.
    Parfois, en parler est un premier pas pour se débarrasser de cette fichue maladie et je te le souhaite ! Que tu puisses enfin être en paix avec ton corps, t’accepter, te pardonner aussi <3
    C'est un long combat mais on réussira !

  2. Tiens, je me suis confiée en quelques lignes aussi il y a quelques jours. Culpabilisant de voir tout ces gens « normaux » faire du sport ou à contrario faire des gâteaux. Et puis il y moi là, qui decide de changer un peu parce qu’on me dit que c’était chouette quand j’avais les joues un peu plus rebondies. Mais ça c’était avant que quelqu’un d’autres s’étonne que je consomme tel ou tel aliment.
    La cage est une belle métaphore. Un peu violente c’est vrai. Comme tu le sais, j’ai tendance à l’adoucir un peu, comme une vieille amie qui reste un peu dans l’ombre au coin de la pièce. Une amie qu’on ne voit pas toujours mais qui reste la.

    Je suis fière de toi ma Laura. En parler, c’est partager ce secret. Et le partager, crois moi, c’est le rendre moins lourd à porter. Je sais que tu as des hauts et des bas, mais une chose est sure : tu n’es pas seule ! <3

  3. J’étais, je suis et je serai toujours la pour toi malgré la distance… Mon amie, ma Laura ♡

    Je t’aime ♡

    Ta petite Belge, Emma.

  4. Chère Laura, les confidences appellent les confidences… Pardon si ce que j’écris cause de la peine…J’ai tout de suite compris où tu voulais en venir en commençant à te lire et ça m’a secouée. J’ai vécu une drame dans mon adolescence, il y a bientôt 10 ans et l’origine de ce drame me hante, je ne parviens pas à franchir le cap, je ne suis pas sûre d’y arriver un jour… Ma soeur aînée était une adolescente un peu bizarre, comme nous tous dans ma famille en fait, ces enfants qui ne rentrent dans aucune case, avec un talent particulier, et un énorme problème avec les interactions sociales “normales”. On ne le dira jamais assez mais le collège est un milieu hostile pour tous, mais pour des enfants ” différents”, c’est un enfer. Un enfer. À 13 ans elle est devenue anorexique, et pendant 4 trop longues années elle nous a tous entraînés dans cette spirale infernale, monstrueuse, qui la dévorait de l’intérieur. Elle avait un talent hors du commun pour le dessin, elle était intelligente, une grande intelligence sensible, et très jolie. Mon modèle, mon aînée, je me cachait derrière toutes les qualités de mon aînée, moi qui était totalement insignifiante, avec un physique dépourvu de grâce par rapport à elle, la “princesse”. J’aimais le fait de m’oublier moi-meme, de me faire oublier, ne jamais faire de vagues, me fondre dans le décor. Être la petite fille parfaite parce que obéissante, avec de bons résultats à l’ecole. Ne pas me faire remarquer était devenu une obsession d’autant plus que ma soeur nécessitait toute l’attention, sa maladie l’entrainait toujours plus profondément, elle perdait les rares amies qu’elle avait, les pires de ses traits de caractère etaient rendus exacerbés, elle nous causait une peine immense, et beaucoup de colère. Incompréhension est un mot faibe. Mais que dire de ses sentiments à elle? Je ne voyais qu’une boule de douleur, cette douleur qui fait frémir tout le corps en une brûlure continue, une douleur affrayante, car intérieure, un gouffre hurlant de terreur devant cette vie qui n’avait plus de sens pour elle. Une maladie qui s’installe dans la tête mais qui ronge le coeur en réalité. J’ai récemment parcouru les dernières page de son journal intime, dans l’espoir de comprendre, enfin, d’avoir un autre regard sur ce qui s’est passé, trop vite, je n’ai rien compris à ce moment là, je n’avais que 15 ans… Et je m’en veux tellement. Mais à part un incommensurable chagrin je n’ai rien retiré de ces lignes. Ma soeur restera à jamais une enigme, et l’anorexie avec elle. Toute cette horreur. Elle avait écrit sur une double page entière “je veux m’en sortir. Je veux m’en sortir. Je veux m’en sortir”. C’etait à l’hopital pour adolescents, un lieu de grande détresse psychique. C’était quelques jours avant sa deuxième tentative de suicide. L’anorexie tue. Le poids du regard des autres tue. Ça ne servirait à rien de dire une énième fois qu’il faut passer outre ce regard… quand il nous obsède, comment s’en débarasser? Vivre avec ? Cela vaut peut être mieux que le déni. Se connaître, apprendre à faire confiance à des amis. Prendre conscience de sa différence et en faire un atout, sentir que cette chose qui cause notre malheur est peut être une source de force, une chose qui nous rend unique et que personne ne pourra jamais nous enlever. Le trésor de notre mémoire, de notre immagination. Nous possédons un jardin intérieur plus riche, plus vaste que n’importe qui. Personne ne pourra nous comprendre car personne ne verra jamais ce jardin de douleurs et de merveilles. Accepter de ne jamais être compris, c’est si difficile. Accepter sa solitude… Accepter la vie. Et lui rendre hommage. Et enfin, aimer.

  5. Bonjour Laura,
    Je vis un peu la même situation que toi depuis un peu plus d’un an maintenant à la suite de plusieurs réflexions faites par certaines personnes de mon entourage. Je me sens également « prisonnière » de cet état et je n’arrive pas à voir ce nouveau corps que mes proches me décrivent (car oui j’ai perdu beaucoup de poids depuis) et je me sens souvent un peu incomprise…
    Et je n’aurais jamais imaginé que toi, personne que je suis et que j’admire depuis plusieurs années, connaîtrait la même chose…
    C’est à la fois rassurant de se dire qu’on n’est pas seules, mais aussi très triste car je nous souhaite, à toutes celles concernées par ce problème, de pouvoir en sortir !
    En tout cas sache que tu n’es pas seule ! ♡
    Pleins de bisous

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *